6 septembre 2020

Pénibilité au bloc opératoire

Par admin

Depuis octobre 2018, un projet de réforme des retraites à points qui selon le gouvernement « …vise à créer un système universel de retraite sur la base d’un dispositif de participation citoyenne. » est en cours de négociation avec les partenaires sociaux.

Nous ne nous appesantirons pas sur les différentes contestations qui font suffisamment les unes des presses.

Nous ne reviendrons pas également sur le choix que certains font de délibérément séparer le combat pour les retraites du combat pour notre reconnaissance salariale par peur d’amalgame.

Ils n’ont pas totalement tord dans la mesure où le gouvernement est passé maître dans l’art de l’enfumage et de la dispersion : ne dit-on pas « diviser pour mieux régner » ?

Cela fait un bon moment que nombre de professionnels paramédicaux publics et privés sont mobilisés pour faire évoluer leurs conditions de travail. Ce que nous voulons pointer aujourd’hui c’est l’arbre qui cache la forêt.

En effet, pendant que la majorité des citoyens se mobilisent pour ou contre les chiffons rouges que sont l’âge pivot et la durée de cotisation, en coulisse se négocie des changement sur un point clé de la revendication des soignants : la reconnaissance de la pénibilité au travail, donc la valeur pécuniaire de celle-ci et son évaluation et sa prise en compte pour un départ anticipé à la retraite.

Eh oui ! le diable se cache dans les détails !

Reprenons donc.

Dans notre publication concernant la manifestation du 5 décembre 2019, nous disions ceci : « Les avantages reconnaissants la pénibilité du métier d’infirmier accordés par la Loi Fillon ont été balayés d’un revers par sa cadette la Loi Bachelot ».

Tandis que leurs confrères salariés du privé se voyaient attribuer le C2P, c’est-à-dire rien du tout, le passage en catégorie “A” fût brutal pour bon nombre d’infirmiers fonctionnaires.

Or quelle que soit notre catégorie ou notre mode d’exercice les conditions et la charge de travail sont les mêmes

En mai 2019 l’Observatoire de la Souffrance au Travail infirmier (OSAT) préconisait un raisonnement en terme de pénibilité lié au métier et non au statut avec une majoration de durée d’assurance attribuée à tous les infirmiers. »

 

Les futures négociations prévues entre le gouvernement, le patronat et les partenaires sociaux afin de négocier des critères spécifiques de pénibilité (accords de branche) nous prouvent que nous avons eu le nez fin à ce sujet tout comme nous savons d’ores et déjà que les IBODE et les IDE en bloc ne seront pas consultés sur la pénibilité de l’exercice professionnel au bloc opératoire et services associés.

 

Pour rappel, la loi dit que « Toute entreprise doit prévenir la pénibilité au travail. Lorsqu’un salarié est exposé à des facteurs de risques professionnels au-delà de certains seuils, l’employeur doit établir une déclaration. Le salarié bénéficie alors d’un compte professionnel de prévention (C2P) sur lequel il peut accumuler des points. »

 

Le bénéfice du compte pénibilité tel que prévu par l’article L. 4162-1 du Code du travail est donc réservé :

  • aux salariés des employeurs de droit privé ;
  • au personnel de la fonction publique employé dans les conditions du droit privé (contractuels de la FPH)

Dans le régime universel par répartition et par points, qui doit voir le jour avec la réforme, les fonctionnaires pourraient bénéficier de ce fameux C2P.

La démarche serait louable si concomitamment ne sortaient pas différentes études (dont certaines datent de 2017) opposant la pénibilité au travail entre le secteur public et le secteur privé.

Il en résulte une fois de plus une confrontation entre salariés du privé et fonctionnaires pour savoir qui souffre le plus dans son travail occultant le point principal : in finé, un IBODE ou un IDE en bloc qu’il soit fonctionnaire ou salariée du privé, à quelques éléments près, a les même contraintes et responsabilités professionnelles au quotidien.

Monsieur Jean-Paul Delevoye expliquait en 2019 que « si le Parlement adopte le principe de la mise en œuvre du compte professionnel de prévention dans la fonction publique, les employeurs publics devront faire “un effort important” pour “définir la typologie” des bénéficiaires et mettre en place des mesures de “traçabilité” »

Chaque IBODE ou IDE en bloc sait que travailler au bloc opératoire génère plusieurs facteurs de pénibilité!!!

Chacun de nous est aussi conscient que la suppression pour les fonctionnaires de la catégorie “B” dite « active » a occulté la prise en compte de cette pénibilité et que le C2P est un dispositif plus que complexe auquel peu d’IBODE ou IDE en bloc du privé font appel faute de se le voir expliquer.

Or, « le Code du travail prévoit une obligation générale de sécurité qui incombe à tout employeur. À ce titre, il doit évaluer et prévenir l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les salariés. Lorsque les mesures de prévention se révèlent insuffisantes, certains risques sont facteurs de pénibilité. Au-delà de certains seuils d’exposition, la loi prévoit la mise en place d’actions spécifiques et instaure des mécanismes de compensation au bénéfice des salariés concernés. »

 

L’INRS définit la pénibilité comme : « … une exposition du travailleur à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail. »

Il explique également que : « Les professionnels travaillant en établissement de soins (hôpital ou clinique) sont potentiellement exposés à des risques infectieux, à des produits chimiques, aux risques physiques, aux risques psychosociaux (RPS), aux troubles musculo-squelettiques (TMS)… Une démarche de prévention globale doit permettre de repérer les facteurs de risques propres à chaque activité et de mettre en place des moyens de prévention adaptés. »

 

Plusieurs items évoqués peuvent être pris en compte dans la pratique infirmière au bloc opératoire: les risques biologiques, chimiques, liés aux agents physiques, les horaires atypiques, les RPS et les TMS.

 

Ces facteurs de sont ceux :

1. Liés au rythmes de travail

a) le travail de nuit sous certaines conditions ;

b) le travail en équipes successives alternantes (exemple : travail posté en 5×8, 3×8) ;

c) le travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte ;

d) la tension au travail (forte demande psychologique et faible latitude décisionnelle) ;

e) les contraintes organisationnelles ;

f) l’exposition à des risques psychosociaux.

Exemple au bloc opératoire:

  • Horaires postés : travail de jour mixé au travail de nuit (astreintes)
  • Repos compensatoires non systématiques après une astreinte
  • Travail le week-end et les jours fériés
  • Travail en équipes pluri disciplinaires
  • Urgences médico-chirurgicales contrainte de temps interrompant le programme chirurgical
  • Glissement de tâche
  • Polyvalence

2. Liés à un environnement physique agressif :

a) Les manutentions manuelles de charges définies à l’article R. 4541-2 ont été supprimées en 2019 sous prétexte d’inévaluabilité…

On y distinguait 3 rythmes de manutention manuelle :

  • le port de charge isolé (1 seule fois dans la journée),
  • le port occasionnel (activité répétée 1 fois au plus par période de 5 minutes),
  • le port répétitif (activité régulière, répétée plus d’1 fois toutes les 5 min pendant plusieurs heures)

Le port de charges étant considéré comme le déplacement d’une charge d’un point à un autre, quelles que soient les hauteurs de prise et de dépose. Il  peut comporter à la fois le soulèvement et le transport.

 

b) Les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations (position debout prolongée, piétinement, posture à genoux et/ou accroupie…).

Exemple au bloc :

  • Mobilisation importante des patients lors des transferts sur les tables opératoires (lit – brancard – table opératoire – brancard – lit) et installations chirurgicales spécifiques.
  • Manutention importantes lors de la préparation du matériel de chirurgie, des ancillaires, des containers…
  • Installation et agencement de la salle opératoire en pré opératoire (amplificateur de brillance entre 235 et 255 kg, écran d’amplificateur de brillance 97 kg, colonne de cœlioscopie environ 50 kg, microscope, phacoémulsificateur environ 107 kg…); déplacement en per opératoire si besoin.
  • Montage et démontage des tables opératoires et de leurs équipements lors d’enchaînements de plusieurs chirurgies avec des postures différentes.
  • Maintien de postures physiques contraignantes et utilisation de force mécanique adaptée au geste chirurgical sur de longues durées.
  • Port du matériel de protection lourd et contraignant (tablier de plomb)…

 

c) Exposition à des agents chimiques et biologiques

 

  • Les fumées chirurgicales:

L’utilisation de sources de chaleur ou d’ultrasons (appareils électrochirurgicaux, laser) exposent les opérateurs aux produits de pyrolyse.

La pollution olfactive peut contenir des éléments biologiques actifs (cellules, bactérie, virus…) et/ou des substances cancérogènes, mutagènes ou réprotoxiques.

La nuisance olfactive, indépendamment des composés toxiques émis lors de l’hémostase, peut avoir des incidences physiologiques auprès des soignants exposés.

Les signes d’intoxication aiguë tels que céphalées, asthénie, nausées, irritations oculaires et des voies respiratoires, anosmie, hypoxies tissulaires peuvent apparaître.

Nous savons que la perception des odeurs diffère selon ses caractéristiques ( volatiles, solubles, catégories…) mais aussi selon la structure de la molécule odorante ainsi que de sa concentration.

Concernant les fumées chirurgicales, le risque sanitaire englobe des caractéristiques telles que la toxicité, la nocivité, et l’exposition dans le temps.

Composition particulaire : entre > 200 micromètres et < 10 nanomètres.

Polluants organiques : hydrocarbures aromatiques (benzène, toluène, ethylbenzène, xylènes…) acide cyanhydrique, aldéhyde formique, hydrocarbures polycycliques aromatiques, nitriles, acide gras et phénols…

Polluants inorganiques : oxydes de carbones, oxydes de soufre et d’azote, amoniac…

Polluants biologiques : cellules intactes, cellules sanguines, fragments d’ADN viral (HIV, HPV, HVB, staphylococcus aurus, mycobacterium tuberculosis…)

  • Les agents chimiques dangereux (ACD)
    • Acide per acétique utilisé lors de la désinfection à froid dans des conditions souvent non réglementaires (absences de hotte…).
    • Exposition aux gaz anesthésiants, aux traitements médicamenteux toxiques administrés dans le champ opératoire (ex : CHIP).
    • Utilisation quotidienne de produits détergents-désinfectants.
    • Manipulation du formol pour la fixation de pièces opératoires volumineuses.
    • Exposition aux différents liquides biologiques contaminés par des charges virales, bactériennes, parasitaires, fongiques lors de contacts avec des patients porteurs de maladies particulièrement dangereuses (tuberculose, HIV, HC, HB…).
    • AES lors de l’utilisation d’objets coupants, piquants et tranchants…

d) Les risques environnementaux :

  • Exposition aux rayons ionisants lors de certaines chirurgies
  • Exposition aux lumières opératoires et utilisation prolongées d’écrans
  • travail à la lumière artificielle et en pièce aveugles

 

e) Le bruit :

L’OMS préconise que le jour et les soirées, le LAeq ne devrait pas excéder 30 dB(A) et les LAmax pendant la nuit devraient être inférieurs ou égaux à 40 dB(A).

Selon l’INRS, « Le bruit constitue une nuisance majeure dans le milieu professionnel. Il peut provoquer des surdités mais aussi stress et fatigue qui, à la longue, ont des conséquences sur la santé du salarié et la qualité de son travail. »

« On considère que l’ouïe est en danger à partir d’un niveau de 80 décibels durant une journée de travail de 8 heures Si le niveau est extrêmement élevé (supérieur à 130 décibels), toute exposition, même de très courte durée, est dangereuse.

Elle peut conduire à une surdité, phénomène irréversible. Les surdités peuvent être reconnues comme maladies professionnelles.
Le bruit est cause de fatigue et de stress et agit sur les systèmes nerveux, cardiovasculaire et digestif. Mais, il n’affecte pas seulement la santé. En empêchant de se concentrer, il nuit également à la qualité du travail et peut même être à l’origine d’accidents
»

Sources  : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F15504

http://www.inrs.fr/demarche/penibilite/ce-qu-il-faut-retenir.html

RAPPEL Port de charges pour les femmes  limite à ne pas dépasser  25 kgs ; Port de charges pour les hommes  limite à ne pas dépasser 55 kgs.

Sources : IRNS, DMT, Fumées chirurgicales, TC 137.

http://www.inrs.fr/risques/bruit/ce-qu-il-faut-retenir.html

http://www.inrs.fr/risques/bruit/ce-qu-il-faut-retenir.html

La pollution sonore générée par le niveau de bruit présent dans une salle d’intervention constitue donc un risque futur probant pour la santé des IBODE et des IDE en bloc et impacte négativement leur travail au quotidien.

Exemples:

  • ouverture d’un sachet papier 70 dB (A)
  • bruits d’instruments chirurgicaux 75-85 dB (A)
  • aspiration 75-80 dB (A)
  • brassard automatique de tensiomètre 45-50 dB (A)
  • alarme de fréquence cardiaque 75 dB (A)
  • alarme d’oxymétrie de pouls 60-70 dB (A)
  • bruits de conversation 66-72 dB (A)
  • la chute d’un récipient en acier inoxydable peut générer un bruit de 108 dB (A)
  • le débranchement des gaz muraux 98 dB (A)
  • le déplacement des chariots 75 dB (A)

Sources : Journées d’Enseignement Post Universitaire, Paris, C.R.I., 2000, Le confort de l’opéré. p127-141.